«Cela m’a donné beaucoup de pistes» Maria Jerez
22. décembre 2018
par Selin Bourquin
Pourquoi l’école peut être intéressante pour les arts
«Maria va à l'école» est un projet de Maria Jerez qui a été réalisé dans des écoles en France, Espagne, Belgique, Croatie et en Islande en collaboration avec des institutions culturelles (2). Pendant trois semaines, les rôles éducatifs changent: un groupe d'enfants enseigne ‹la langue parlé à l’école› à l’artiste. Mais lors de ce changement de rôles, il ne s'agit pas d'un transfert de pouvoir symétrique, mais de la mise en place d'une situation fragile pour toutes les parties, un espace où personne ne sait. Maria Jerez est une artiste performative de Madrid.
Entretien avec Maria Jerez, partie 1
Pendant la conversation Maria Jerez (MJ) est à Santiago de Chile et Selin Bourquin (SB) est à Soleure. La langue de l’entretien - le français - est une langue étrangère pour les deux. Voici la première partie du protocole de l’entretien.
SB : «Maria, qu’est-ce que tu fais à Santiago de Chile?»
MJ : «Je suis ici en résidence pour un nouveau projet. En fait, c’est un projet qui est une projet en lien avec l’Amérique du Sud. L’idée du projet est d’avoir plusieurs petites collaborations avec des personnes de différents métiers. Ici, à Santiago de Chile, je suis en train de travailler avec un peintre.»
SB : «Les collaborations semblent être importantes pour toi. Je voulais parler avec toi de ton projet ‹Maria va à l’école›. Tu décris tes collaborations avec des écoles en étant des recherches pour ton travail artistique. Est-ce que tu peux développer cette idée?»
MJ : «Oui. En fait, j’étais invitée en 2009 en Autriche pour faire un projet avec des écoliers. Mais je ne parlais pas du tout l’allemand. Donc, j’ai passé deux mois avec une classe et une traductrice dans l’école. C’était assez frustrant; pas seulement parce que le temps était doublé par le fait de traduire, mais aussi à cause de la traductrice qui traduisait ce que les enfants ont dit mais pas de la manière dont ils l’ont dit. Le ‹comment dire des choses› me manquait car il y a beaucoup d’informations dedans. À la fin du projet, c’étaient les enfants qui ont commencé à m’apprendre l’allemand. Là, je me suis dit: si jamais je serais invitée à faire un projet dans une école ça sera le projet: que les enfants m’apprennent leur langue.»
SB : «Donc, dans ce premier projet avec une école que tu viens de décrire, la langue n’était pas la thématique à la base mais l’est devenu à fur et à mesure?»
MJ : «Voilà. L’idée était de produire un film avec les enfants. Pour ça on partait d’une pièce de théâtre que j’avais faite pour faire une version avec les enfants. Le projet n’était pas du tout sur la thématique de la langue – c’était plutôt en lien avec le cinéma et le rôle du spectateur. Quel est le rapport qu’on a en tant qu’artiste avec les spectateurs? Est-ce qu’on se met dans une position de faire apprendre quelque chose aux spectateurs? Est-ce qu’on laisse de l’espace aux spectateurs pour devenir co-auteurs de la pièce? Est-ce qu’on les laisse transformer la pièce? C’est en pensant à la figure du spectateur que l’idée de donner le pouvoir aux enfants pour m’apprendre leur langue m’est venue.»
SB : «Donc la question du public est aussi une question importante pour ton travail artistique?»
MJ : «Oui, c’est très important! Je pense qu’en fait, dans chaque pièce que j’ai faite, le rapport avec le public est toujours à la base de la question que je me pose. C’est toujours en rapport avec ‹Qu’est-ce qu’on voit?›, ‹Qu’est-ce qu’on veut voir?› et ‹Quels sont les rôles qu’on a?›. La question clé pour moi est: ‹est-ce qu’on regarde quelque chose ou est-ce qu’on assiste à quelque chose?› Je voulais faire une recherche sur cette idée en entrant dans les écoles en me mettant dans une situation de ‹non-connaissance›. D’arriver là en tant qu’‹extraterrestre› d’une autre planète; j’ai quarante ans, j’arrive dans une école et je vais à l’école chaque jour pour apprendre la langue parlé à l’école. En faisant le projet je me suis rendu compte que mon rôle et la situation de fragilité qu'on vit dans ce projet m’intéresse beaucoup. Des fois ça fait basculer le pouvoir et les enfants prennent le pouvoir. Les enfants se rendent compte qu’ils ne savent pas non plus comment me faire apprendre, comment trouver une solution pour communiquer. Dans ces situations là, on se met les deux dans des situations de fragilité où on ne sait pas vraiment où on va, mais le désir de devenir plus proche est tellement fort qu’on trouve différentes manières de se rapprocher. Ça m’a donné beaucoup de pistes aussi dans mon travail artistique, de réfléchir justement où je veux me mettre et où je veux mettre la pièce et où je veux mettre les spectateurs.»
Pour lire la suite de l'entretien, veuillez consulter la deuxième partie accessible sur ce blog.
(1) Maria Jerez et Edurne Rubio, «Maria gaat nar school», 2017, Video, 38’’22, en collaboration avec Gosie Vervloessmen, Edurne Rubio, enseignantes Babette Slambrouck et Fayza Elhemdaoui, enfants de la V-Tex School, produit par le Kunstcentrum Buda, Kortrijk, Belgique. mariajerez.tumblr.com (18.10.2018).
(2) Montpellier (Centre Chorégraphique National de Montpellier + Ecole Florian), à Madrid (CA2M + Colegio Público de Aluche), à Courtrai (Buda Kunstencentrum + Ecole V-TEX), à Zagreb (Student Center + Osnovnoj školi Mihaela Šiloboda) et à Reyjkiavik (Festival Ungi + Austurbæjarskóli).